Des démocrates athéniens à Montesquieu, d'Aristote à Rousseau, personne ne songeait à faire de l'élection l'instrument démocratique par excellence. Démocratie n'équivalait alors pas à gouvernement représentatif ; c'est le tirage au sort qui paraissait le mieux apte à respecter l'égalité stricte des candidats.
Que s'est-il donc passé au tournant du XVIIIe siècle, en Europe et aux États-Unis, pour que se renverse cette conception multiséculaire et qu'advienne l'idée qu'une démocratie est, par essence, un gouvernement représentatif ?
Dans cet essai, Bernard Manin montre que le système représentatif n'a pas pour seule fonction de permettre au peuple de se gouverner lui-même. Le gouvernement représentatif mêle en fait des traits démocratiques et aristocratiques. L'élu n'est jamais le double ni le porte-parole de l'électeur, mais gouverne en anticipant le jour où le public rendra son jugement.
La démocratie est trop souvent réduite à l'expression de la souveraineté populaire par le suffrage. Quand elle consiste aussi, et peut-être plus radicalement, dans un processus délibératif, une discussion collective continue, y compris dans les intervalles du suffrage. Passer d'une conception substantielle et étroite, à une conception procédurale et fine de la volonté générale, tel est l'apport fondamental des travaux de Bernard Manin depuis le début des années 1980. Devançant ceux de Jürgen Habermas sur le sujet, sa réflexion n'est pas seulement celle d'un théoricien scrupuleux : elle conduit également à formuler diverses propositions et permet de mieux comprendre les transformations en cours de l'espace public, notamment avec l'irruption des nouvelles technologies et de l'Internet. Reprenant et actualisant un certain nombre de contributions publiées dans des revues plus ou moins confidentielles, Bernard Manin rend enfin accessible au public une pensée exigeante et éclairante.
Face à la critique du système représentatif, la démocratie délibérative est de plus en plus fréquemment invoquée. Cet ouvrage revient, grâce aux contributions d'une quinzaine de spécialistes français comme internationaux, sur les manières multiples de penser la démocratie délibérative mais aussi ses limites.
A l'origine, le « tournant délibératif » désigne le développement, à partir des années 1980, de théories normatives de la légitimité démocratique qui ont proposé de faire de la délibération publique le pivot d'une nouvelle articulation entre bien commun, justification et légitimité.
Si la démocratie délibérative a d'emblée suscité l'intérêt des philosophes et des théoriciens du politique, elle a progressivement touché d'autres disciplines (sociologie des institutions politiques, sociologie de l'action collective, sciences de l'information et de la communication, sociologie des sciences et des techniques, sciences de l'argumentation, sociologie de l'action publique...) où se sont multipliés les recherches de terrain et les questionnements, souvent critiques, des cadres théoriques initiaux. Elle a donné lieu à un ensemble de débats portant sur la formulation de l'idéal délibératif et confrontant diverses déclinaisons de la démocratie participative, que ce livre explicite et discute.