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MARY JAYNE GOLD
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Mary Jayne Gold était sans doute bonne fille : généreuse, indulgente, tolérante, amie du plaisir - le sien n'excluant pas celui des autres. Ce sont là vertus qui vous font une personnalité agréable, mais qui ne vous mettent pas forcément en mesure d'écrire un bon livre. Elle avait, par chance, un défaut parmi les plus utiles à ceux qui se piquent d'écrire : l'insolence - qui n'est bien souvent que la façade acceptable d'un autre défaut, infiniment plus grave, lui, la lucidité. Elle se décrit sans hésiter comme une écervelée. Il se trouve que l'écervelée en question n'a pas les yeux dans sa poche, et que son indulgence ne l'empêche pas d'avoir la dent dure s'il le faut.
Le livre commence par tourner gentiment autour du pot : on se dit qu'on a entre les mains l'une de ces chroniques américaines de l'avant-guerre qui font toujours plaisir à feuilleter, parfois même à lire : observation amusée, épinglages plutôt réussis, vachardise aimable à qui l'on pardonne tout puisqu'elle fait si agréablement sourire. Et puis vient l'heure de la débâcle - celle des êtres, celle des apparences surtout - et le récit se met à grincer. Enfin Marseille et l'heure de vérité : où un drame se noue, mais dans un climat d'exaltation juvénile qui laisse transparaître une émotion non feinte ; et là on se rend compte qu'on en est à dévorer pour de bon un livre - un livre qu'il n'est plus question de lâcher.
Mary Jayne aime le risque et l'action. Elle séduit le directeur du camp de concentration du Vernet, transmet des messages à la barbe de la Gestapo (qui a infiltré ses hommes en zone dite " libre "), organise un trafic de faux papiers, rassure de son mieux les intellectuels traqués confiés à ses soins : Alma Mahler, la famille Thomas Mann, André Breton, Victor Serge.
Dans le même temps, elle file une idylle orageuse avec un personnage des moins recommandables : une belle petite gueule de frappe issue du " milieu " marseillais, déserteur, arnaqueur, qui répond au sympathique sobriquet de " Killer ". L'animal, qui a connu la taule, entretient de drôles de relations avec ses " ennemis " les flics, et ne rêve semble-t-il que de mettre au turbin les jolies filles qu'il a le don de subjuguer. Il présente sa belle Américaine aux copains, chacun spécialisé dans un " art " particulier : commerce de chair fraîche, maniement des armes à feux, marché noir. La bande, proche des fameux frères Guerini, se dit favorable à la Résistance - une façon comme une autre d'embêter la clique adverse, celle des Sabiani, ouvertement compromise avec l'occupant. Mary Jayne voit là une occasion de se camoufler un peu mieux encore : elle habite avec son jules une maison de passe des mieux protégées, et passe ses dimanches près d'Aix, dans la superbe villa Air-Bel que Varian Fry a mise à la disposition d'André Breton et de quelques autres (la confrontation de Killer et du pape du surréalisme est un morceau d'anthologie).
Est-on dans le drame, dans la comédie ? Les deux, mon général. Car aux pires instants de noirceur de l'Histoire la vie est là, qui continue de battre, de frémir, de jouir. Ah, si Julien Duvivier, celui de Pépé le Moko, de Panique, avait eu le temps de tourner cette histoire à sa façon ! Une histoire trop invraisemblable sans doute pour être inventée : seule la réalité ose, parfois, fabriquer de tels scénarios.
D'autant que ça ne finit pas si mal que ça. Bien sûr Varian Fry et ses amis ont le don d'en agacer plus d'un, à Vichy et ailleurs et jusque parmi les officiels américains, dont l'hypocrisie paraît sans limite (l'Oncle Sam, ne l'oublions pas, n'est pas encore entré en guerre contre Hitler). Bien sûr le courageux Américain et l'intrépide Mary Jayne finissent par se faire mettre la main au collet et expulser hors de la doulce France. Mais ils auront réussi, en quelques mois, à sauver quelque 2000 victimes du Reich, artistes et intellectuels pour la plupart, juifs le plus souvent.
Même Killer trouvera la bonne sortie : fuyant la maréchaussée marseillaise après le départ de son amie, il s'embarquera pour Londres et finira la guerre dans la peau d'un héros de la RAF.
Ce livre, bien sûr, ne dispense pas de lire les livres que les historiens ont consacrés à cet épisode-clé de la guerre. Il a pourtant sur eux l'avantage de nous rappeler que l'Histoire majuscule ne serait rien sans les talents que quelques-uns déploient à se fabriquer leur petite histoire à eux. Car s'il n'est pas toujours aisé de comprendre l'Histoire une fois qu'elle est faite, il est surtout difficile de la vivre - entendons de la vivre sans déchoir - quand elle est en train de se faire.
Comment saurons-nous nous conduire à la prochaine (qui sera bien sûr la der des der, comme ses soeurs aînées) ? Une question qui n'est pas vraiment agréable, mais qu'il faut se poser, bien sûr, ne serait-ce qu'à titre d'entraînement. Histoire d'être prêt, quand le pénible moment viendra : le livre de la douce Mary Jayne Gold peut sans doute aider à cela.
Il arrive que la littérature, outre le plaisir qu'on y prend, soit de quelque utilité pour la vie. Dans ces cas-là, plutôt rares, on est prié de ne pas la laisser passer.
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Une jeune Américaine favorisée par la fortune visite l'Europe de la fin des années 30 et goûte fort les plaisirs qu'elle offre.
Attirée par la France, elle refuse de rentrer chez elle quand la guerre éclate, se trouve comme des millions d'autres entraînée dans la débâcle de mai 40 et finit par échouer à Marseille, où affluent des fugitifs de toutes nationalités, juifs souvent, qui rêvent eux, de gagner l'Amérique à partir de ce grand port contrôlé certes par le gouvernement de Vichy, mais où les Allemands ne font encore qu'indirectement la loi.
Peu après son arrivée, elle se met au service de Varian Fry, un jeune compatriote qui est en train d'organiser, avec quelques amis résistants, un réseau non officiel (ce sera le légendaire Emergency Rescue Committee) destiné à permettre aux intellectuels européens pourchassés par les nazis de fuir le destin qui les menace.
Ils seront ainsi plusieurs centaines à pouvoir échapper au pire : Ahna Mahler et Franz Werfel, Heinrich et Golo Mann, Hannah Arendt, Chagall, Max Ersnt, André Masson, Marcel Duchamp, André Breton et Benjamin Péret, Victor Serge, Wanda Landowska, Jean Malaquais...
Mary Jayne aime le risque et l'action. Elle séduit le directeur d'un camp de concentration, transmet des messages à la barbe de la police.
Dans le même temps elle file une idylle orageuse avec un personnage des moins recommandables : une belle petite gueule de frappe issue du " milieu " marseillais, déserteur, arnaqueur (et même un peu plus), qui répond au sympathique sobriquet de " Killer " - dont elle réussira à faire un héros.
Est-on dans le drame, la comédie ? L'Histoire, quand on ne la fait pas mentir, mélange toujours les genres.
Car aux pires instants de noirceur la vie est là, qui continue de battre, de frémir, de jouir. Ah, si Julien Duvivier (celui de Pépé le Moko) avait en le temps de tourner cette histoire à sa façon ! Une histoire trop invraisemblable, c'est sûr, pour avoir été inventée : seule la réalité ose, parfois, fabriquer de tels scénarios.